Les annonces de levées de fonds réalisées par des entreprises, en particulier par des startups, sont monnaie courante. En moyenne de quelques millions d’euros, la levée de fond est un passage quasi obligatoire pour bon nombre de startups en hyper croissance.

C’est justement pour financer leur croissance que ces startups font appel à des investisseurs qui en échange d’une prise de participation dans la société, injectent de l’argent dans cette dernière, espérant une plus-value dans le futur.

En effet, l’investisseur au moment de financer une startup, parie sur le futur de la société. Ainsi lorsqu’il échange, par exemple, un million d’euros contre 20% de la société, soit un cinquième, cela revient en fin de compte à lui attribuer une valeur totale de 5 millions d’euros. Comment valoriser une entreprise plusieurs millions d’euros lorsque parfois cette dernière ne génère pas le dixième de ce montant en chiffre d’affaire ?

Nous allons voir dans cet article quelques méthodes de valorisation d’entreprise. Il s’agit finalement de prédire les performances futures d’une entreprise donc ne vous attendez surtout pas à des méthodes exactes et infaillibles. Cela reste toutefois un exercice intéressant, en particulier en tant qu’entrepreneur, pour comprendre la logique des investisseurs et préparer des négociations.

J’insiste sur le fait que les valorisations calculées avec ces méthodes n’assurent en rien du prix que paieront des potentiels investisseurs pour acquérir des parts de votre startup ; de nombreux autres facteurs influeront sur le pricing de votre startup comme par exemple l’équipe fondatrice, la technologie ou encore l’industrie dans laquelle vous évoluez.

En effet, la valorisation d’une entreprise à un stade précoce de son développement est un exercice particulièrement complexe notamment à cause de l’absence d’historique et de données financières ou de comparables ; ajoutés à cela une volatilité des revenues, des actifs majoritairement immatériels et parfois un nouveau business model.

L’objectif de cet article est d’offrir une vue (très) simplifiée du sujet afin d’introduire quelques concepts et de faciliter leur compréhension pour vous aider à démarrer plus facilement.

Le coût du capital

« Time is money ». Ce proverbe bien connu de tous est un des concepts fondamentaux en finance d’entreprise. En ajoutant à ce dernier le concept de risque/rendement, nous avons tous ce qu’il nous faut pour comprendre le concept de coût du capital. Effectivement, l’argent disponible aujourd’hui aura toujours plus de valeur que celui disponible dans le futur (par son potentiel à générer de l’argent dans l’intervalle). Et plus un investissement est risqué, plus vous exigerez un rendement élevé.

Pour la suite de l’article, prenons le cas d’une startup (imaginaire) nommée Code Quanttoum.

Pour se financer, cette startup peut contracter un prêt bancaire et/ou tenter de convaincre des investisseurs (business angels, venture capital) d’acheter des parts de la société. Le coût du capital représente la rémunération attendue par les apporteurs de capitaux (banques et/ou investisseurs) tenant compte de la durée et du risque.

Pour une banque, ce sera simplement le taux d’intérêt qu’elle facture pour le prêt. Pour le coût des capitaux propres (provenant des investisseurs), ce sera un peu plus compliqué et forcément plus élevé. Le coût sera plus élevé car une banque prête de l’argent en exigeant le remboursement de la somme prêtée ainsi que le paiement d’intérêts ; alors que l’investisseur n’a aucune certitude de récupérer sa mise. Le risque financier est beaucoup plus élevée dans ce cas, en conséquence la rémunération attendue sera également plus élevée. Une méthode répandue de calcul du coût du capital consiste à pondérer les coûts de ces deux composantes. Cette méthode se nomme le WACC (Weighted Average Cost of Capital).

Dans notre exemple, le coût du capital sera le coût des capitaux propres car aucune banque ne risquera de prêter (suffisamment) de l’argent à notre startup à ce stade de son développement (early stage).

Le coût des capitaux propres

Le coût des capitaux propres (cost of equity) est la rémunération attendue par les investisseurs en contrepartie du risque qu’ils prennent en plaçant leur argent dans l’entreprise. Et il est assez logique, que la rémunération augmente en proportion du risque. Pour calculer le risque et donc le coût, nous allons utiliser le Capital Asset Pricing Model (CAPM). Ce modèle traduit la relation entre le risque et la rémunération attendue en utilisant le coefficient β (souvent utilisé pour valoriser les actifs financiers). Utilisant la formule du CAPM, le coût des capitaux propres KE de notre startup se calcule avec la formule suivante:

KE= RF + β ×(RM  RF)

Pas de panique, vous allez voir que c’est très simple à calculer. Commençons par expliciter chaque élément de la formule :

  • RF, pour Risk-Free Rate, est le rendement attendu pour un investissement sans risque.
  • β (beta) est un coefficient de mesure de la volatilité d’un titre financier par rapport à son marché. En d’autres termes c’est la mesure du risque d’un actif financier.
  • Enfin, RM est le rendement du marché financier (le CAC40 ou le S&P 500 par exemple selon l’actif financier que vous évaluez). la soustraction (RM – RF) est appelé Market Risk Premium.

Le Risk-Free Rate en France (France 10Y Bond Yield) est de 0.46%  au moment où j’écris cet article. Le rendement du marché est de 7.22%. Le Market Risk Premium est donc de 6.76% (7.22 – 0.46).

Notre startup n’est pas cotée en bourse, sans historique nous ne pouvons donc pas calculer le β en utilisant sa formule mathématique. Nous devons donc estimer le risque en se basant sur plusieurs critères comme la maturité du produit ou de la technologie, les compétences de l’équipe, etc. Par souci de simplification, nous allons prendre une valeur de 6 pour le coefficient mais pour les plus curieux, des articles de recherche proposent des approches pour estimer plus finement ce risque.

Finalement le coût du capital de notre startup sera de 41.02%:

KE = 0.46+6×6.76 = 41.02%

Cette valeur sera le Discount Rate que nous utiliserons pour valoriser notre startup en utilisant la méthode par Discounted Cash-Flow (DCF).

La valorisation par les DCF

La méthode de valorisation par les DCF permet d’évaluer une entreprise sur la base de projections des Free Cash Flow (flux de trésorerie disponible) qu’elle générera, dépréciés (actualisés) en utilisant le WACC comme taux d’actualisation (Discount Rate):

 

Enterprise Value (EV) = t=0FCFFt(1+WACC)t

 

Cette formule qui peut paraître complexe au premier abord est simplement la somme infinie des Free Cash Flow to the Firm actualisée en utilisant le WACC (que nous avons calculé précédemment).

Bien entendu, en pratique, la projection des flux de trésorerie se fait sur une période finie appelée explicit forecast period. Nous choisirons une durée de 5 ans pour cette période (nous faisons l’hypothèse que les investisseurs revendront à l’issue de cette période).

Au delà de cette période, nous calculerons ce qu’on appelle la valeur terminale de l’entreprise. Enfin, nous additionnerons les deux afin d’obtenir la valeur de notre entreprise.

Code Quanttoum a sérieusement étudié le marché, son positionnement et son modèle de revenus. Notre startup projette de générer sur les 5 années à venir les FCFF suivants:

2020 2021 2022 2023 2024
80 000  300 000  1 200 000  2 000 000  2 500 000
Estimation des FCFF pour les 5 prochaines années (en euros)

Si on applique la formule, cela donne une valeur de 1.59 M€ pour la période finie de 5 ans:

80 0001.41 +300 000(1.41)2+1 200 000(1.41)3+2 000 000(1.41)4+2 500 000(1.41)5

Calculons maintenant la valeur terminale en appliquant la formule suivante:

TV = FCFFt × (1+g)(WACC  g)

FCFFt est le flux de trésorerie estimée pour la dernière année de la période finie et g est le taux de croissance à long terme.

Pour un taux de croissance à l’infini de 2%, nous obtenons une valeur terminale autour des 6.54M€:

TV = 2 500 000 × (1,02)(0.41 0.02)

Nous pouvons maintenant calculer la valeur de notre startup:

EV = 1 589 464 + 6 535 110(1,451)5 = 2 761 253

 

Avec les hypothèses prises, nous aboutissons à une valorisation de la startup Code Quanttoum à hauteur de 2.8 M€ en utilisant la méthode des DCF.

Les limitations de la valorisation par DCF pour les startups

Cette méthode de valorisation repose principalement sur la projection des flux de trésorerie générés (FCFF) dans le futur par la startup et de l’évaluation du risque par le coefficient beta.

D’abord, les flux de trésorerie sont particulièrement difficiles à estimer et incertains pour une entreprise avec peu ou pas d’historique. Une valorisation basée sur un scénario optimiste sera considérablement différente de celle calculée pour un scénario plus pessimiste. Une autre méthode de valorisation, nommée First Chicago Method, se base sur trois scénarios du pire au meilleur en passant par le scénario d’une performance moyenne et attribue une probabilité pour chacun de ces scénarios pour pondérer la valorisation de l’entreprise.

Enfin, dans notre cas, celui d’une entreprise non cotée, nous ne pouvons pas calculer le beta par sa formule mathématique (une régression linéaire). Pourtant son estimation a une influence significative sur le résultat final. Si par exemple, j’avais estimé la valeur de β à 5, la valorisation de ma startup serait de 3.7M€ au lieu des 2.8M€ calculés avec une valeur de β à 6.

Nous avons vu que réside une part importante de subjectivité (inhérente au caractère prédictif) dans les méthodes de valorisation présentées: que ce soit la valorisation par la méthode des DCF, par l’estimation du beta, ou la méthode First Chicago par l’attribution des probabilités pour chaque scénario. Du point de vue de l’investisseur, ces méthodes, en particulier la First Chicago, nécessitent une étude approfondie de la startup: son écosystème, son équipe, son business model, etc.

D’autres méthodes peuvent être utiles pour évaluer plus rapidement une startup comme la méthode des Venture Capital.

Valorisation par la Venture Capital Method

Majoritairement utilisée par les Venture Capitalists, d’où son appellation, cette méthode se concentre sur la valeur de la startup au moment de l’exit (quand elle entre en Bourse ou lorsqu’elle est acquise par une autre entreprise). C’est à ce moment là que l’investisseur espère réaliser une plus-value en revendant ses parts.

La valeur d’une entreprise au moment de l’exit peut être calculée via différentes méthodes. Une méthode répandue consiste à multiplier les bénéfices de l’entreprise réalisés à l’année de sortie par le rapport cours/bénéfices (price earning ratio – PER) d’entreprises similaires.

Pour calculer la valeur potentielle à l’exit (nous gardons l’hypothèse d’un investissement sur 5 ans) de Code Quanttoum, nous multiplions donc les bénéfices (par souci de simplification nous prendrons la valeur des FCFF) générés durant la cinquième année par une valeur de PER que nous estimons à 12 dans notre cas de figure.

Cela nous donne une valeur à l’exit de 30M€ (2.5M€ multiplié par 12).

Ensuite nous allons actualisé cette valeur en utilisant un Discount rate qui dépend de la maturité de l’entreprise. Le tableau ci-dessous reprend les valeurs communément utilisées selon le stade de développement de l’entreprise.

Phase Discount rate
Start-up 60%
First round 50%
Second round 40%
Third round 30%
Before  IPO 20%

Nous appliquons un Discount rate de 60% comme notre startup est encore aux prémices de son développement. La valeur de la startup sera donc de 2.86M€ :

EV = 30 000 000(1+ 0.6)5= 2.86 M

Cette valeur est appelée la valeur Post-Money, et repose sur l’hypothèse que la startup a reçu les financements nécessaires à son développement. Ainsi, si Code Quanttoum cherche à lever 860k€, sa valeur Pre-Money sera de 2.86 – 0.86 = 2M€. Par conséquent, un investisseur exigera 30% de Code Quanttoum en échange des 860k€ (0.86 / 2.86).

Encore une fois, la levée de fond est une négociation ; la manière dont vous présenterez le projet, le business model ou encore l’expérience de l’équipe auront un impact significatif sur le résultat de votre levée. C’est une excellente transition pour aborder une autre méthode de valorisation nommée Scorecard

Valorisation par la méthode Scorecard

Pour valoriser une startup en utilisant la méthode Scorecard, les investisseurs vont calculer la moyenne des valorisations d’entreprises similaires (industrie, région, maturité, etc.) récemment financées. A partir de cette moyenne, une valorisation est calculée en ajustant la moyenne selon plusieurs critères comme le potentiel de marché, l’experience et les  compétences de l’équipe, les competiteurs, etc.

Par exemple, en moyenne les startups comme Code Quanttoum sont valorisées autour de 2.5M€. Nous allons alors pondérer cette valeur selon plusieurs critères:

Critères Poids Comparaison Facteur (Poids * Comparaison)
Equipe (Management) 30% 130% 0.39
Taille de l’opportunité 25% 150% 0.375
Compétition 10% 70% 0.07
Produit / Technologie 15% 160% 0.24
Marketing / Partenaires / Ventes 10% 80% 0.08
 Somme des facteurs 1.155

La colonne Comparaison juge la performance de la startup en comparaison avec le benchmark. Ainsi lorsque la valeur est supérieure à 100%, la startup a une performance supérieure à celle des autres startups du benchmark ; lorsque la valeur est inférieure à 100%, vous l’aurez deviné, la performance de la startup est inférieure.

Nous n’avons plus qu’à multiplier la moyenne des valorisations par la somme des facteurs calculée dans le tableau, c’est à dire 1.155. Nous obtenons une valorisation de 2.89M€ pour Code Quanttoum en utilisant la méthode Scorecard.

Pour aller plus loin

Nous avons vu quelques méthodes de valorisation d’entreprises. Au risque de me répéter, j’insiste sur les multiples simplifications faites dans cet article pour permettre son accessibilité et je l’espère sa facilité de lecture. De nombreuses ressources sont disponibles gratuitement sur internet pour approfondir le sujet notamment le site Investopedia ou Corporate Finance Institute mais si vous êtes prêts à investir du temps et de l’argent, je vous conseille cet excellent ouvrage de finance d’entreprise que j’ai largement consulté pour me former au sujet: Corporate Finance: Theory and Practice de Pierre Vernimmen

Voilà, c’est tout pour cet article !

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Photo credit: trendingtopics on Visual hunt / CC BY


Ali Benfattoum

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